Graphiste, designer et typographe, Patrick Lindsay a répondu à la troisième invitation à créer lancée par Exaprint en partenariat avec étapes :. Dans la lignée de ses productions récréatives et mouvantes, il offre un rhodoïd à animer pour l’édition spéciale Jeux Graphiques (étapes #250).
Pouvez-vous nous raconter votre parcours depuis l’affiche que vous avez créée pour l’appel à candidature de la Biennale des Jeunes Créateurs d’Europe de la Méditerranée, en 1998 ?
Après huit années d’études sur Paris, je suis retourné m’installer à Marseille dans un atelier que j’occupe toujours et que je partage avec des illustrateurs, des graphistes et des architectes. La Biennale des jeunes créateurs, portée par l’Espace Culture de Marseille, a été mon premier client. Cette première commande était une carte blanche confiée à un jeune graphiste. Grâce à cette liberté et à la bienveillance de mes commanditaires, j’ai pu mettre en pratique les expérimentations graphiques développées pendant mes études. Par la suite je me suis efforcé de préserver cet équilibre entre commandes et recherches. Je travaille principalement pour le milieu associatif et culturel, les centres d’art, les théâtres ou les festivals. Je collabore régulièrement avec des illustrateurs et des graphistes sur des projets d’édition ou de communication. Parallèlement à mon activité de graphiste, je conçois des ateliers de pratique artistique et des outils de médiation graphique.
Graphisme, design, typographie, réalisation… peu importe la discipline vous consacrez la création au jeu.
Pourquoi cet attrait si particulier ?
J’adore jouer avec des formes simples, les assembler entre elles et définir des règles de jeux. Modulables, elles semblent obéir à leurs propres logiques. Elle évoluent, se complexifient et transgressent les règles de départ… Je suis souvent le premier surpris du résultat. Dans le prolongement de cette démarche, je fabrique pour des clients (ou dans le cadre d’ateliers) des outils à la prise en main intuitive (engrenages, tampons, autocollants, volumes…). J’aime beaucoup l’énergie joyeuse du jeu, son pouvoir de rassembler et de « faire ensemble ». Lorsqu’un commanditaire accepte de jouer avec vous, il se crée une véritable émulation et cela donne souvent des objets graphiques étonnants et singuliers. Le plaisir que nous avons eu à faire ces images est palpable. Nous l’espérons communicatif auprès du public.
Des engrenages du Lumigraphe, aux gifs animés de briques en pixel art jusqu’à l’affiche rétro-futuriste, comment renouvelez-vous votre inspiration dans le domaine du jeu ?
Je partage mon atelier avec des auteurs qui aiment bien jouer, notamment Aurélien Débat et Nicolas Aubert. Notre lieu de travail est rempli d’objets et de jouets de toutes sortes. Sur les étagères, entre les livres et les échantillons de papiers, s’empilent les tampons, les normographes, les mécanos, les spirographes… Nous y stockons également le mobilier de nos précédents ateliers ou expositions, tables lumineuses, caractères d’imprimerie, et toutes sortes de prototypes de jeux. J’ai aussi un fils enthousiaste qui est mon premier cobaye.
En vous association avec Exaprint, vous avez conçu un rhodoïd qui jongle entre ombres et transparences.
Comment concevez-vous votre image et votre calque et avec quels outils ?
La trame et les images animées du Roto-cinéma sont conçues sur Illustrator. Les trames circulaires sont quant à elles produites avec l’outil « grille à coordonnées polaires ». Il y a trois trames avec des inclinaisons différentes qui, une fois superposées, forment un cercle noir. Deux de ces trames sont imprimées sur le transparent, elles servent de cache pour faire apparaître les images. Le noir de la trame est soutenu par 50% de cyan et de magenta pour en renforcer l’opacité. Le blanc opaque est imprimé au verso et sert habituellement à soutenir les images en quadrichromie. Ici le blanc joue avec la transparence, c’est une fenêtre à découper sois-même pour pouvoir utiliser le masque rotatif.
Vous passez de la création d’une image immobile à une image mobile. Le processus de conception s’est-il construit de façon hasardeuse ou selon une méthodologie précise ?
Le Roto-cinéma développé pour le dossier Jeux Graphiques utilise la technique de l’Ombro-cinéma. Ce dernier est à l’origine un jeu d’ombres animées au début du XXe siècle, qui a été remis au goût du jour par Michael Leblond et Frédérique Bertrand avec la série Pyjamarama aux éditions du Rouergue. Dans le cas du Roto-cinéma les images sont composées de trois trames concentriques imbriquées. Le transparent, correctement positionné au centre, masque deux images et en montre une. Le déplacement rotatif du Rhodoïd laisse apparaître successivement chacune des trois images et crée l’illusion du mouvement. La vitesse de rotation et le positionnement du calque influence la perception des images. La contrainte des trois images tramées et superposées a produit des résultats auxquels je ne m’attendais pas. C’est seulement une fois les images assemblées que l’esthétique des formes s’est révélée. Je n’ai alors gardé que les spécimens qui présentaient une qualité plastique et vibratoire.
Pour le Lumigraphe, vous avez joué avec l’assemblage des pièces, leurs rotations et les contrastes colorés. Vous rejouez cette attraction pour la superposition et le mouvement dans le rhodoïd. D’où provient cette inclination créative ?
Dans le cadre de Marseille 2013, Capitale de la culture, et à l’initiative de Fotokino, j’ai réalisé un dispositif d’atelier qui utilise la contrainte de la rotation pour dessiner. Des disques de cartons sont placés sur des plateaux tournants, comme sur une platine vinyle, avec un feutre en guise de tête de lecture. Les participants influencent uniquement la rotation et la position du feutre. Malgré ces contraintes les résultats étaient étonnamment variés. En 2016, grâce à une commande du Signe, centre national du graphisme, j’ai poursuivi cette recherche sur le mouvement et l’art cinétique avec le Lumigraphe, un ensemble de modules gravés dans du Plexiglas transparent et de couleur qui permettent une infinité de combinaisons. Ce que j’aime dans la rotation c’est sa simplicité, son mouvement perpétuel et son pouvoir hypnotique. Malgré son évidence, elle offre une grande richesse combinatoire et formelle. C’est le Gif du monde réel.
Propos recueillis par Stella Amar pour étapes :