Une fois n’est pas coutume. Cette semaine, CTRL-P reçoit une invitée exceptionnelle, puisque Maliki est un personnage de BD. Une héroïne un peu particulière, puisque cette enfant du « Webcomic » a évité tous les chemins traditionnels de l’édition pour accéder à la notoriété. Rencontre.
Maliki est une jeune femme très particulière qui vit une expérience hors du commun. Son corps sert en effet de refuge à une créature fantastique, Lady, fusion de l’esprit de Maliki et de celui de son défunt chat. Depuis son entrée au collège, Maliki doit composer avec cette présence surnaturelle pour affronter le quotidien compliqué d’une demoiselle atypique. L’histoire de Maliki est d’autant plus extraordinaire qu ‘elle a évité toutes les routes balisées de l’édition traditionnelle et qu’elle a réussi, en traçant son chemin à travers la jungle du Net, à devenir une véritable entreprise dans le petit monde du Webcomic, la BD sur Internet.
Tout commence à la fin des années 90, quand Maliki, jeune bachelière qui aimait dessiner à ses heures perdues, décide de vivre sa passion. « Je ne voulais pas avoir de regrets », nous avoue-t-elle. Elle suit donc une fac d’arts plastiques pendant trois ans, mais ne se retrouve pas dans cette formation trop théorique. Elle bifurque alors vers une formation multimédia, où elle devient graphiste et vidéaste et trouve un boulot de graphiste. En parallèle, Maliki continue de dessiner et de raconter, en BD, ses expériences, sa vie, son histoire. La créature fantastique aux griffes et à l’humour acérés publie dès 2004 ses planches sur Internet, sans contrepartie et de manière très régulière : « je me suis imposé un rythme hebdomadaire, en fixant un rendez-vous chaque mardi. » Toutes les semaines, elle poste un nouveau strip sur le site. La notoriété de Maliki grandit vite. Tellement vite que pour ses deux ans, elle a droit à un superbe cadeau d’anniversaire : l’édition de son premier recueil d’aventures chez Ankama, un éditeur spécialisé dans les mangas et les jeux vidéos. Une étape importante, reconnaît-elle : « éditer un album m’a aidé à toucher un public plus large ». Et peu importe que l’album ne soit qu’un recueil d’histoires en accès libre sur le Web. « Même s’ils connaissaient déjà les strips, les fans de la série avaient très envie d’avoir l’objet papier ». La jeune femme aux cheveux rouges se fait de plus en plus d’amis, publie huit autres recueils et deux romans chez Ankama et Bayard, et finit par rassembler plus de 86 000 fans sur sa page Facebook. « Internet et les réseaux sociaux ont été déterminants, mais rien n’aurait été possible sans la visibilité que m’a offert l’édition. »
En 2016, Maliki prend son indépendance, surfant toujours sur sa double identité, à la fois numérique et bien ancrée dans le réel. Plutôt que de passer par un réseau classique de distribution, elle a fait le pari de l’auto-édition. « Ce n’est pas le choix le plus facile, mais c’est de loin le plus gratifiant. Et puis c’était le seul moyen pour moi de continuer à vivre en racontant mes histoires. Avec l’édition classique, j’étais rémunérée 8% hors taxes sur chaque album vendu. Continuer sur cette voie m’aurait obligée tôt ou tard à tout arrêter », explique-t-elle. Pour financer le recueil de ses aventures mises en ligne sur son blog, elle lance une grande campagne sur la plateforme de crowdfunding Ulule, afin de financer les 1000 premiers exemplaires. Le succès est tel que les internautes vont financer l’impression de… 8000 exemplaires ! Pour inciter aux préventes, Maliki a mis en place un système de paliers, avec des goodies offerts à tous les contributeurs en fonction du nombre de livres financés : carte postale, marque-page, planches de stickers et même mini-PLV !
Mais pour être totalement indépendant, encore faut-il être capable de gagner sa vie. Là encore, Maliki ne manque pas de ressources et c’est une nouvelle fois via Internet qu’elle va trouver le moyen de s’assurer des revenus réguliers. Depuis juin dernier, la féline héroïne a ouvert un compte sur Tipeee, une plateforme qui permet aux membres d’une communauté de soutenir leur artiste, qu’il soit écrivain, youtubeur, chanteur, bloggeur ou dessinateur BD en lui donnant un « tip » (un pourboire). Pour décider ses fans à tiper, Maliki fait une nouvelle fois le lien entre monde numérique et monde réel et propose des goodies exclusifs aux plus gros contributeurs, comme ces ex-libris dédicacés sur papier créatif (impression sur papier métallisé, avec un pelliculage mat et un vernis 3D, par exemple, sur la dernière livraison). En quelques années, Maliki a réussi à tirer le meilleur parti du virtuel et du réel, de l’Internet et de l’édition, de l’économie collaborative et des possibilités infinies qu’offre l’impression papier. Tout cela pour réussir à préserver son indépendance, fondamentale aux yeux d’un chat.