Dominique Ehrhard nous raconte l’histoire de la création de “10 chaises”, livre pop-up édité aux éditions Les Grandes Personnes.
Contenu
- 1
- 2 Comment en vient-on à imaginer un livre pop-up sur des chaises ?
- 3 On est encore loin de l’univers des chaises…
- 4 Que se passe-t-il ensuite ?
- 5 Une fois que la sculpture est au point, vous l’envoyez chez l’imprimeur ?
- 6
- 7 Même pour les points de colle ?
- 8 Avec des livres qui demandent autant de précision dans la fabrication, il semble nécessaire d’aller au calage, non ?
- 9 C’est un vrai risque, non ?
- 10 Le monde du pop-up travaille donc exclusivement avec la Chine ?
- 11 La domination de la Chine est-elle inéluctable ?
- 12 Parlez-nous de vos projets…
Comment en vient-on à imaginer un livre pop-up sur des chaises ?
Il est vrai que mon activité principale – la peinture – peut sembler bien éloignée de l’édition. Pourtant, il y a une peut-être une logique à tout cela. Tout d’abord, j’ai longtemps hésité entre la peinture et l’architecture. J’ai finalement décidé d’embrasser une carrière de peintre, pour la liberté qu’elle m’offrait. Mais j’ai toujours un faible pour l’architecture et pour la rigueur intellectuelle qu’elle requiert. Et puis, je ne me définis pas uniquement par ma peinture. J’ai par exemple longtemps conçu des jeux de société. Ca a été une première approche du livre pop-up, puisqu’on travaille de la même manière, par prototypage. Cela fait donc longtemps que j’ai une approche très pratique de ce type de réalisation, avec le souci constant de viabilité financière et d’économies dans les coûts de fabrication.
On est encore loin de l’univers des chaises…
Mais on s’en approche ! Pour en revenir à ma passion pour l’architecture, j’ai toujours été fasciné par les travaux de Gerrit Rietvel et ses jeux sur les plans et l’axonométrie. On m’avait offert une réplique en miniature de sa fameuse chaise rouge & bleue. J’ai voulu m’amuser à en faire une en papier et voir dans quelle mesure on pouvait la plier. C’est un process qui s’apparente à du bricolage et que j’ai fait par petits bouts, entre autres choses. Entre temps, j’avais fait un livre pop-up sur les monuments de Paris. Il avait été accepté par une première maison d’édition, puis refusé car les commerciaux n’y croyaient pas. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Brigitte Morel, des éditions Les Grandes Personnes, qui a été emballée par le Paris Pop-up et qui l’a publié. Quand je lui ai parlé d’un livre pop-up sur les chaises, elle a tout de suite dit « banco ! »
Que se passe-t-il ensuite ?
C’est là que le vrai travail commence ! Faire une maquette en papier qui se plie, c’est bien, mais on est encore très loin du produit fini et imprimé. On entre d’abord dans une phase très longue et très fastidieuse où il faut partir d’une sculpture papier faite avec des ciseaux, de la colle et du scotch et tenter d’en faire quelque chose qui fonctionne quelle que soit la quantité imprimée. C’est d’autant plus compliqué que les plis du pop-up sont assez rigides et qu’il est difficile de traduire les courbes. C’est un véritable travail d’interprétation.
Une fois que la sculpture est au point, vous l’envoyez chez l’imprimeur ?
Non, on en est encore loin ! Une fois ce premier prototype abouti, je le déplie, je le scanne et je dessine tout au propre pour faire un deuxième prototype. Apparaissent de nouveaux défauts, qui étaient gommés notamment par l’utilisation du scotch, qui autorise plus de souplesse. Une fois ce deuxième prototype au point, j’en fais un troisième, en couleurs cette fois. Cela permet également de faire apparaître de nouveaux petits défauts. Ce n’est qu’avec la quatrième version que j’ai mon prototype définitif. Ensuite je fabrique deux maquettes : une en blanc et une en couleurs et j’envoie le tout, avec les fichiers qui contiennent un calque avec les couleurs à imprimer, un calque de la découpe, un calque texte et un calque indiquant les points de colle.
Même pour les points de colle ?
Oui. Au départ, je ne le faisais pas, en laissant à l’imprimeur le soin de choisir lui-même les points à coller. Mais finalement, cela nous a valu pas mal de problèmes et finalement il est plus simple pour l’imprimeur de savoir exactement où mettre son point de colle pour que le système fonctionne parfaitement. Le positionnement du point de colle peut avoir un effet sur l’épaisseur du pli, et donc du pliage.
Avec des livres qui demandent autant de précision dans la fabrication, il semble nécessaire d’aller au calage, non ?
Et bien non, justement. Tout est imprimé en Chine et cela reviendrait trop cher d’aller assister au calage. Il faut donc que tout soit parfaitement calibré avant le lancement de l’impression.
C’est un vrai risque, non ?
Cela dépend avec qui vous travaillez. Il faut également se replonger un peu dans l’histoire du pop-up. Ce type de livre est apparu à la fin du XIXe et au début du XX e siècle chez des imprimeurs comme Guérin et Muller, puis chez Lucos, à Mulhouse. C’étaient des livres très rares et extrêmement chers. Ensuite, dans les années 50 et 60, la production de ce type de livre a été délocalisée en Tchécoslovaquie, sous l’influence d’illustrateurs comme Kubasta. A cette époque, Disney s’est intéressé aux pop-up, mais, en raison de la Guerre Froide, n’a pas pu faire imprimer ses livres chez Artia, l’imprimeur d’Etat tchèque. Pour réaliser leur pop-ups, les Etats-Unis ont créé ex-nihilo leur propre filière de fabrication en… Colombie ! Et puis, il y a une dizaine d’années, les Chinois se sont mis à créer des petites séries. Non seulement ils avaient l’avantage d’une main-d’œuvre qualifiée, nombreuse et très bon marché, mais ils ont su investir dans un parc machine spécifique qui leur donne aujourd’hui un avantage qualitatif et, de facto, un quasi-monopole mondial sur le marché du pop-up.
Le monde du pop-up travaille donc exclusivement avec la Chine ?
On pourrait presque inclure tout le petit monde de l’édition. J’exagère à peine. Au cours des cinq dernières années, les Chinois ont fait un saut qualitatif incroyable, et des pré-carrés qui étaient autrefois réservés à certains imprimeurs sont aujourd’hui menacés. Par exemple, les imprimeurs italiens sont très réputés pour la qualité de l’impression des beaux livres. Et bien certains fournisseurs chinois arrivent au même niveau, pour un coût de fabrication inférieur. J’ai moi-même été étonné par la qualité de leur papier, qui offre une élasticité incomparable. Alors oui, les salaires chinois augmentent, tout comme le prix du papier et l’avantage en termes de coûts n’est plus aussi évident. Mais si l’on s’en tient à la qualité de production, la Chine fait au moins aussi bien que les autres.
La domination de la Chine est-elle inéluctable ?
Non, car, encore une fois, les salaires et le prix du papier augmentent. Les imprimeurs chinois ont d’ailleurs commencé à délocaliser au Viet-Nam pour contenir ces coûts. Mais si le pays investit aujourd’hui massivement dans la production d’une ligne de chemin de fer transcontinentale reliant le pays à l’Europe, c’est notamment pour réduire drastiquement les délais de livraison sur ce type de produits et rester compétitifs. Pour autant, sur le marché du pop-up, le parc machine chinois est désormais amorti. Cela reste un marché de niche, qui nécessite de lourds investissements. Celui qui s’engouffre dans la brèche et investit aujourd’hui sera sans doute le leader de la production de livres pop-up de demain.
Parlez-nous de vos projets…
Le succès de Dix Chaises a agi comme un déclencheur et a levé les craintes que pouvaient avoir les éditeurs sur les pop-up. Aujourd’hui, je travaille sur un autre ouvrage dédié aux maisons des grands architectes du XX ème siècle, encore Rietvel !, et sur un pop-up consacré aux phares maritimes. J’ai un peu laissé de côté la peinture, car ce succès d’édition m’a donné ce que justement je recherchais dans mes toiles : la liberté. Alors pour l’instant, je vais continuer à profiter de ce moment un peu magique.
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