Jean-Baptiste Levée est un typographe qu’on ne présente plus. Après avoir fait ses armes en tant qu’indépendant, il fonde le Bureau des Affaires Typographiques. Ce dernier fusionne avec Production Systems en 2015, date à laquelle il en devient le seul et unique propriétaire. Avec de nombreux caractères célèbres épinglés à son tableau de chasse, sa réputation a largement dépassé les frontières hexagonales. Carrefour, Renault, le Grand Palais… sont autant de clients qui ont déjà fait appel à ses services. Primé de nombreuses fois pour ses créations, il nous a fait l’honneur de répondre à nos questions, et nous partageons aujourd’hui avec vous ses réponses !
Où puisez-vous vos inspirations ?
Jean-Baptiste Levée : Mes inspirations sont très variées et ne se cantonnent pas uniquement aux domaines de la création graphique. Il m’arrive bien sûr assez souvent de m’appuyer sur des recherches documentaires et historiques « classiques », mais des travaux de ferronnerie ou de mécanique peuvent tout aussi bien m’inspirer. L’art conceptuel américain de la deuxième moitié du XXe siècle m’influence aussi beaucoup. Je suis fasciné par des artistes comme Donald Judd, James Turell et Sol LeWitt, qui ont une manière très singulière d’appréhender la surface et la matière.
Quel est votre processus de création ? Quelles sont les grandes étapes ?
Les façons d’attaquer un projet peuvent être aussi nombreuses que les projets eux-mêmes… Cependant, il existe quelques lieux communs, des étapes propres aux fonderies. Je ne vais pas m’étaler en détails indigestes, mais la création d’un caractère commence évidemment par son dessin. Le plus souvent directement en vectoriel, on réalise le croquis de quelques lettres de base pour s’assurer que tout fonctionne correctement. On teste les styles, les graisses… tout y passe jusqu’à obtenir le résultat attendu !
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez en ce moment ?
Évidemment, je ne peux pas vous parler de mes commandes en cours, secret professionnel oblige ! Mais côté publications, nous sommes sur un spécimen du caractère Minotaur avec un design de Julien Lelièvre. L’équipe travaille aussi sur un alphabet à empattements, le Thiepval, déjà utilisé dans le magazine Trax.
Pour vous, quel est l’avenir de la typographie ? Vers quelles évolutions nous dirigeons-nous ?
Dans notre domaine, une tendance se confirme de plus en plus nettement au fil des années. C’est l’importance grandissante de faire monter la qualité plus que la quantité. Ceci est sans doute lié à l’explosion des typos sur internet et à l’inondation sur celui-ci d’un nombre énorme de caractères médiocres. La notion de typo personnalisable ou personnalisée est aussi en plein essor. Des outils répondent efficacement à ces attentes. Je pense notamment à Prototypo, qui permet de créer des caractères personnalisés rapidement.
Quels ouvrages sur le sujet sont sur votre table de chevet ?
J’ai une bibliographie de travail avec des lectures croisées. Il y a bien sûr les incontournables comme The Elements of Typographic Style, manuel qui se focalise sur l’utilisation des caractères. En dessin, il y a Designing Type de Karen Cheng qui s’attache tout particulièrement au tracé des lettres. Un des ouvrages qui m’a le plus influencé est La typographie au tableau noir de Fernand Baudin. Ce dernier est très simple et extrêmement pédagogique, je le recommande à mes étudiants. En typographie, le dessin est rapide à apprendre, c’est le design qui prend plus de temps. Il faut faire la différence entre dessiner des lettres et créer un caractère. Là est tout l’enjeu de notre métier.
Quels typographes suivez-vous avec intérêt ?
Trois français sont à suivre en ce moment : Yoann Minet, Loïc Sander et Emmanuel Besse. Ils représentent pour moi l’avenir de la typographie. Tous les trois ont une approche du métier qui donne confiance en l’avenir. Nous vous recommandons d’aller jeter un œil sur leurs travaux.
Selon vous, quels critères doit avoir un « beau » caractère ?
Je ne suis pas vraiment à l’aise avec cette notion de « beau ». Pour moi, un caractère doit répondre à différents critères. Il peut être parfois expressif et identitaire, parfois versatile, mais il doit avant tout s’adapter au contexte dans lequel il vivra. Un « bon » caractère, plus qu’un « beau », doit avoir une forme en adéquation avec son usage. Il sert une intention, un dessein précis.
Quels conseils pourriez-vous donner aux typographes amateurs ?
Le premier conseil que je peux donner est celui d’exercer son œil, son recul critique. Il ne faut pas prendre pour paroles bénies tout ce qu’on peut glaner à droite et à gauche. Comme dans beaucoup d’autres domaines, ce n’est pas celui qui parle le dernier qui a raison. Il faut notamment se méfier de la littérature contemporaine sur le sujet qui s’autorise de nombreuses approximations. Ensuite, il faut pratiquer. Faire, faire et encore faire. Pour utiliser une comparaison qui parlera à tout le monde, la typographie n’est pas comme le vélo. Elle s’oublie avec l’absence de pratique et en cela, elle demande un grand investissement. Cependant, je tiens à dire que ce domaine n’est pas réservé à un cercle restreint d’initiés. La typographie n’est pas inaccessible aux débutants, chacun l’aborde à sa façon. Elle peut être à la fois parfaitement démocratique et très élitiste. Pour finir, le designer a une forme de responsabilité qu’il ne doit pas oublier. Quand il publie un nouveau caractère médiocre, c’est à tous les autres qu’il nuit indirectement. La typo n’est typo uniquement dans la manière dont elle est pratiquée et professée.
Retrouvez toutes les créations et l’actualité de Jean- Baptiste Levée sur : www.productiontype.com
Interview réalisée par Exaprint.