Découvrez les interviews de Hugo Anglade, de l’agence Spassky-Fischer et Emilie Vitale, responsable adjointe de la communication du Mucem sur l’histoire de la création du nouveau logo du Mucem, le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée : les raisons de ce changement, sa signification et son impact.
La typo s’affiche au Mucem : Le point de vue d’Hugo Anglade
Spassky ? Fischer ? Spassky-Fischer ? Les échecs, la guerre froide, l’affrontement de deux maîtres, de deux mondes. Et surtout un jeu de chaises, design, repérées sur une photo de l’un des célèbres matchs par de jeunes créatifs en quête d’un nom pour leur agence. « Reprendre le nom des joueurs était une manière de montrer que le design serait présent sans pour autant être l’acteur majeur de notre travail », explique Hugo Anglade, un des co-fondateurs. L’agence s’est faite connaître par son travail sur l’identité visuelle du Mac Val, à Vitry-sur-Seine et par la refonte de celle du Mucem, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille.
Photo – Equipe agence Spassky-Fischer
Le Mucem s’est vite imposé comme le symbole du renouveau culturel de la cité phocéenne. On vient du monde entier le visiter. Mais ce sont des Marseillais revêches, rebelles et peu enclins à céder au chant des sirènes de la culture avec un grand C, qu’il entend séduire. Le Mucem décide d’employer les grands moyens et lance un appel d’offre pour trouver le joueur de flûte de Hamelin capable de mener les Marseillais dans ses allées. Spassky-Fischer entre dans la partie, avec une stratégie totalement décalée : « l’appel d’offres ne reposait au départ que sur des contraintes de communication, détaille Hugo Anglade. Mais il nous est très vite apparu que le problème venait surtout du fait qu’il y avait un trouble sur l’émetteur. Le logo existant représentait les deux passerelles du musée vu du ciel. Le choix peut se justifier, mais c’est quelque chose dans lequel nous ne nous reconnaissons pas. Nous ne croyons pas au logo. Nous pensons qu’on peut être aussi efficace avec des choses plus simples et plus directes. »
Pour faire passer le message, l’agence va à l’essentiel, dépouille les moyens de communication utilisés par le Mucem de tous leurs artefacts et fait exprimer l’institution au travers de trois ingrédients : la couleur, la typographie et la photo. « Ce sont nos outils, et on aime bien les associer pour qu’ils finissent par former quelque chose de nouveau ». Mais pour en arriver là, il faut simplifier, revenir à quelque chose d’élémentaire.
Pour les couleurs, ce sera de grands aplats bruts. Avec un code couleur strictement aléatoire, au point même que l’agence créé un dé avec des couleurs pour pouvoir tirer au sort.
« Lors de notre proposition, nous n’avions aucune restriction sur les couleurs. Pour nous, c’est une restriction qui est du même ressort que celles sur le logo. On pense que cela peut marcher autrement, avec une approche qui ne soit pas symboliste. Par exemple, on n’impose pas que l’affiche d’une expo sur l’écologie soit verte. Pour nous, il y a de la couleur, et il y en a plusieurs. Ça ne dit rien de plus. Ça permet juste de marquer la différence avec l’affiche et l’expo précédente. » L’approche dénote, détonne dans l’univers des chartes graphiques formatées et prédéfinies, notamment parce que ce non-choix symbolique peut être vu comme un contre-sens. Mais Spassky-Fischer assume ce choix. « Une charte graphique est en constante évolution. On la construit au quotidien et on considère que, comme un être humain, elle doit évoluer. Je parle avec un œil d’expert, puisque le public lui, perçoit plutôt une forte continuité dans nos choix, mais nos supports se comportent différemment selon qu’il s’agisse de signalétique, d’affichage ou de site web. Comme un être humain qui se comporte différemment dans l’espace public, en soirée ou en famille. Il y a toute une gamme à créer dans notre travail avec des tonalités différentes.»
Nouveau logo
Ancien logo
La pièce maîtressedu dispositif tient dans le choix de la typographie. Là encore, Spassky-Fisher simplifie à l’extrême et choisit une typographie unique, extrêmement basique : la Neue Haas Grotesk, plus communément connue comme l’Helvetica.
« On utilise la Neue Haas Grotesk dans une seule graisse. On utilise aussi son italique pour respecter les conventions typographiques, mais c’est plus la taille qui va créer la singularité. Ce n’est pas la forme des lettres qui nous importe, mais leur taille. L’idée est qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le sujet sur lequel on communique et sur qui le communique. Pour l’exposition sur le foot, l’affiche mentionne foot et Mucem en gros, tout simplement, pour dissiper toute ambiguïté sur la première lecture. Ce n’est pas le dessin de la typographie qui permet l’identification, c’est la manière dont il est employé et le fait que l’on soit tout de suite dans un acte de lecture. » Un brin provocateur, Hugo Anglade explique que « L’Arial aurait pu faire l’affaire. Ce qui nous plaît beaucoup dans l’Helvetica, c’est que ce n’est pas un choix d’experts. Cette typo répond à une des contraintes du musée, qui est d’être un musée le plus ouvert possible. C’est un choix qui ne se voit pas. L’œil ne s’arrête pas en quelque sorte : on n’est pas en train de se demander à quoi correspond le caractère, on est déjà en train de le lire.» Car pour le co-fondateur de l’agence, « Beaucoup de graphistes choisissent un caractère et s’arrêtent à ce choix, considérant que l’ensemble du public va l’assimiler à tel ou tel émetteur. On ne partage pas cette vision. On veut qu’une typographie soit d’abord lisible. »
Des parti-pris qui ont suscité de fortes réactions. Juste après l’appel d’offre, l’agence est venue défendre son projet devant un parterre d’officiels et de représentants touristiques et, de l’aveu même des intéressés, « l’exercice n’a pas été tendre ».
Au cours de la réunion, on présente des projets d’affiche. Une personne se lève et lance : « cette affiche, je la remarque, parce qu’elle est vraiment moche, rapporte Hugo Anglade. C’est quelque chose qui est bien sûr difficile à accepter, d’autant plus qu’on est assez loin des ces idées de beauté. On est plutôt dans le concret, mais de là à créer quelque chose de volontairement moche… Pourtant, la discussion a suivi son cours, et cette personne, qui emmène des mal-voyants au musée, s’aperçoit qu’elle pouvait décrire l’affiche très facilement. Ce qu’elle considérait comme moche était en fait quelque chose d’étonnamment élémentaire par rapport à ce qu’elle avait l’habitude de voir en matière d’affichage. » Aujourd’hui, près de deux ans après la mise en place de la nouvelle identité visuelle, le contrat est rempli : « Les avis sont plutôt unanimes sur le fait que l’on passe moins à côté des événements qu’avant, détaille Hugo Anglade. Et j’ai l’impression, qu’avec le temps, notre proposition a été adoptée.» Et a ramené d’autres publics vers le musée.
Le point de vue de Emilie Vitale
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